La Colline – théâtre national a accueilli l’Agora Jeunesse dans sa petite salle.
L’Agora Jeunesse est un forum-théâtre conçu par 21 jeunes reporters du Théâtre de la Colline, âgés de 18 à 27 ans, autour de thèmes liés à la jeunesse. Son contenu est basé sur des rencontres avec des personnes concernées, des livres, des institutions partenaires et des témoignages. Treize artistes de la compagnie La Relève bariolée ont participé à ce projet en collaboration. Il s’agit de la 5ème édition, ce qui signifie que ce projet existe depuis cinq ans.
Le slogan de l’Agora Jeunesse de cette année était : « Échange le monde, Prête-moi tes yeux ».
À 14h, l’espace où l’on pénétrait par les portes ouvertes du théâtre présentait des chaises disposées en plusieurs rangées circulaires. Les personnes entrant s’asseyaient où bon leur semblait. Des gens de tous âges, hommes, femmes, jeunes et moins jeunes, entraient à l’Agora.
En observant la salle, qui semblait contenir aisément plus de 150 places, se remplir tranquillement, je ne pouvais m’empêcher de penser que c’était là le résultat d’une politique culturelle construite et développée depuis avant les années 1960.

Quatre thèmes étaient prévus, chacun d’une durée de 1 heure et 20 minutes. Pour chaque thème, les jeunes reporters partageaient le contenu de leurs entretiens, lisaient des extraits de livres, et enfin, passaient le micro aux participants avec quelques questions.
Le premier thème portait sur le pouvoir des mots et de l’art, et des inquiétudes ont été soulevées quant au retour de Trump et à la montée des forces fascistes, ainsi qu’aux nombreux discours haineux et à la distorsion des mots qui en découlent, et à la dévalorisation et à la déformation de la valeur de certains mots.
Par exemple, la grave distorsion de la valeur de la « liberté d’expression ». Des cas où une culture qui permet la prolifération de la violence et des discours haineux sous le prétexte de la liberté d’expression est tolérée… Des cas où la valeur intrinsèque des mots « justice » et « équité » est compromise par des interprétations subjectives…
Les paroles d’une femme aux cheveux blancs, née pendant la Seconde Guerre mondiale, m’ont apporté à la fois du réconfort et un sentiment de gravité encore plus profond.
« J’ai déjà vécu les confusions que vous traversez actuellement. La jeunesse et la vieillesse ne résident pas dans l’âge. Il y a des gens dont l’apparence est vieille mais dont l’esprit est jeune, et il y a des gens dont le corps est jeune mais dont l’esprit est déjà vieux… Je vous remercie d’avoir créé cet espace grâce à l’Agora Jeunesse, car ce genre d’endroit est extrêmement important. »
Je présent ici les 4 thèmes d’Agora :
La puissance des mots et de l’art.
Espace de rencontre, outil de révolte.
Comment la parole et la poésie peuvent-elles demeurer des outils de résistance ?
Au cœur d’un bruit constant, saturé d’informations, il devient difficile de s’entendre. Or la parole est au cœur de la démocratie. Face à l’émergence de tyrans qui nient la réalité, bafouent la vérité, détournent des droits fondamentaux pour légitimer leur pouvoir et en abuser, quels moyens a-t-on pour se révolter, se rencontrer et entendre que nous sommes tous ébranlés ?
La parole avec sa valeur retrouvée, tout comme l’art et la poésie, demeurent des refuges où l’humanité de chacun peut s’exprimer et se partager.
Vous pouvez m’abattre de vos paroles,
Me découper avec vos yeux,
Me tuer de toute votre haine,
Mais comme l’air, je m’élève encoreMaya Angelou, “Et pourtant je m’élève” in And Still i Rise : A book of Poems, 1978
Les mille visages du deuil. De l’intime au collectif.
Peut-on apprendre à vivre avec la perte ? Que nous disent nos deuils sur notre époque, nos attachements et nos solidarités ?
Ce débat explore les différentes formes que revêt le deuil. S’il évoque d’abord la perte d’un être cher suite à un décès, il s’étend bien au-delà : la fin d’une amitié, d’un amour, un déracinement ou encore ce qu’on appelle le “deuil blanc” – autant de séparations doubloureuses, souvent invisibles ou peu reconnues. A côté de ces expériences intimes, il existe aussi des deuils collectifs, liés à des événements tragiques ou à des violences systémiques. Les deuils peuvent toujours se lire à deux niveaux, individuellement et collectivement. Qu’en est-il cependant des deuils empêchés ? Des situations où la possibilité même du deuil est remise en question ?
Où vas-tu donc ainsi, grand troupeau des humains ?
Depuis quels siècles longs tu souffres et tu pleures !
Tu crois toujours voir poindre, ô lamentables leurres !
Après les jours de deuil, de meilleurs lendemainsLéon Pamphile Le May, Les Épis, 1914
Citoyens à part entière, citoyens entièrement à part.
Le traitement des Outre-mers.
Quelle place réelle pour les Outre-mers dans la République ?
Comment dépasser les silences, les inégalités, les blessures de l’histoire coloniale ?
Trop souvent invisibilisés dans les médias, ignorés dans les politiques publiques, les territoires ultramarins, vestiges de l’empire colonial français, occupent une place ambivalente dans la conscience nationale. Ce débat propose d’écouter les voix des jeunes originaires de ces territoires et de réfléchir ensemble à la reconnaissance, à la réparation, et à une vraie égalité des droits et des représentations.
Pour nous, le choix est fait.
Nous sommes de ceux qui refusent d’oublier.
Nous sommes de ceux qui refusent l’amnésie
même comme méthode.Aimé Césaire, “Discours sur le colonialisme”, 1950
Le droit à la beauté. Inégalités du sensible et domination esthétique des territoires.
Comment les inégalités sociales, territoriales ou culturelles conditionnent-elles notre rapport au sensible, à l’esthétique et à la possibilité même de s’émouvoir ou de rêver ?
Il y a des lieux que l’on regarde, que l’on protège, que l’on restaure. Et d’autres que l’on traverse sans voir, ou qu’on détruit sans mémoire. Entre les quartiers riches et les cités reléguées, les villages bombardés et les centres historiques rénovés, ce débat propose de questionner cette cartographie inégale du sensible. Comment renverser ces logiques ?
Comment rêver en couleur quand l’futur n’annonce que l’orage
Le bonheur que l’on bricole disparaît dans la grisaille
Que nos espoirs s’isolent de la folie qui les cisaille.Kery James, “Vivre ou mourir ensemble”, 2016